Hamid ALIKARA, Gérant du Bureau d’Expert Consultant en risques Industriels (B.E.C.I.): «Sécurité des sites industriels, la formation du personnel est primordiale»
Dans cet entretien, l’expert en risques industriels analyse la situation des derniers incidents industriels qui sont survenus à Sidi Bel-Abbés et à Ain-Defla. Selon lui, les sinistres industriels sont en général accidentels, ils peuvent survenir suite à des carences, des insuffisances de discernement que les moyens de prévention et/ou d’intervention n’ont pas été mis de façon judicieuse dans les lieux appropriés, afin d’éviter un sinistre qui peut par la suite devenir catastrophique. Hamid ALIKARA s’exprime également sur un sujet primordial, celui de l’incinération des déchets d’activités de soins à risque infectieux en milieu hospitalier (DASRI). Il révèle qu’une enquête menée récemment fait ressortir que « 60% des déchets hospitaliers non brûlés se retrouvent dans les décharges et dans les nappes phréatiques, pour s’introduire par la suite dans notre alimentation ».
Reporters : On assiste ces derniers jours à des incendies qui ont touché certaines grandes entreprises, comme l’ENIE de Sidi Bel-Abbés, mais aussi une explosion accidentelle survenue dans une unité de fabrication de cordeaux détonants à Ain-Defla. Quelles sont les conséquences de tels incidents en matière de risques industriels ?
Hamid ALIKARA : En premier lieu et pour répondre de façon objective, il est utile de comprendre et analyser les deux sinistres séparément. Pour l’Enie de Sidi Bel Abbès, l’incendie s’est déclaré dans un hangar où étaient entreposés des éléments (lieu de stockage du mobilier réformé), selon ce qu’ont rapporté les principaux quotidiens nationaux. L’incendie s’est ensuite propagé à d’autres hangars. Ces derniers n’étaient sûrement pas dotés de portes coupe-feu. Celles-ci auraient permis de circonscrire rapidement l’incendie, d’isoler les autres hangars et d’éviter ainsi la propagation du feu vers d’autres lieux. En revanche, pour ce qui est d’Aïn Defla, unité de fabrication de cordeaux détonants, c’est plutôt d’une explosion qu’il s’agit, et là, plusieurs scénarios peuvent être envisagés (un court-circuit électrique, un échauffement excessif et anormal d’une machine…). Il est à rappeler que ces deux dossiers sont traités par des compagnies d’assurances et que l’accès à ces dossiers reste confidentiel jusqu’à la remise des rapports d’expertise pour lever le voile sur les causes réelles de ces deux sinistres. Les sinistres industriels sont en général accidentels, ils peuvent survenir suite à des carences, des insuffisances de discernement que les moyens de prévention et/ou d’intervention n’ont pas été mis de façon judicieuse dans les lieux appropriés afin d’éviter un sinistre qui peut par la suite devenir catastrophique. Pour conclure, il est bon de rappeler que la formation du personnel dédié à la sécurité des sites industriels reste primordiale, que la mise des moyens adéquats en qualité et en quantité suffisante peut permettre à toute entité qu’elle soit privée ou étatique de minimiser un tant soit peu la propagation de tout incident.
Quelles sont les conséquences de tels incidents en matière de risques industriels ?
Les conséquences sont nombreuses ; nous mentionnerons quelques-unes : les traumatismes humains en cas de blessures, de handicaps et même de pertes humaines. La destruction de l’outil de production. Les pertes de production et le manque à gagner. Les pertes financières dues à l’immobilisation et à la réhabilitation des équipements, des ateliers et/ou des bâtiments de production et les pertes de parts de marché et le repositionnement dans le flux productif. Ceux-ci peuvent être évalués après chaque sinistre, mais une bonne étude de danger préalablement établie par des bureaux spécialisés coûterait dans tous les cas beaucoup moins cher qu’un après-sinistre.
Pensez-vous que les grandes entreprises comme Sonatrach respectent les normes pour ce qui est du risque industriel ?
Le risque industriel doit être géré de la même façon pour les grandes, moyennes, petites et toutes petites entreprises industrielles, on comprend bien que les normes à respecter sont les mêmes. La différence se fait sur le type d’entreprise classée selon un référentiel en fonction de la grandeur et/ou l’ampleur du complexe industriel et bien entendu sur les moyens (financiers, humains, logistiques…) mis à cet effet. De plus en plus de sociétés algériennes qui activent dans les secteurs de l’énergie et de l’industrie s’intéressent de près aux aspects sécuritaires dans l’exercice de leur métier. Les opérateurs comptent prévenir les dangers économiques que les activités engendrent sur la santé et la sécurité des personnes et des biens. Or, en Algérie, la prévention et la protection contre ces périls majeurs nécessitent un certain nombre de conditions liées à la formation, à l’évaluation et à la maîtrise.
Le gouvernement s’oriente de plus en plus vers le développement industriel, en réalisant de grands projets dans ce domaine. Pensez-vous que ces projets sont accompagnés d’études de risques industriels ?
Oui, nous donnons ici une analyse du décret exécutif n°06-198 (du 4 djoumada el oula 1427, correspondant au 31 mai 2006) définissant la réglementation applicable aux établissements classés pour la protection de l’environnement. Il vient à point nommé et était attendu par tous les intervenants en matière d’installations classées. Il vient identifier les responsabilités de chaque intervenant dans lesquelles une pluralité d’acteurs privés et publics interviennent. Il y a une vraie avancée dans la maîtrise et la gestion de ce type d’installations et des axes d’approfondissement de la réglementation et procédure en matière de remise en état des sites, des établissements classés. Le texte rejoint la législation française et européenne dans le fait que la responsabilité de l’Etat dans l’octroi de l’autorisation est entière. Nous saurons donc qui fait quoi, qui est responsable de quoi et qui paie pour ses manquements. Pour ce qui est de la validation de la conformité et l’appréciation des mesures de prévention-protection, le législateur a défini les contours des études et audits de danger et environnementaux selon des critères universellement admis. L’étude de danger doit permettre de définir les mesures d’ordre technique propres à réduire la probabilité et les effets des accidents ainsi que les mesures d’organisation pour la prévention et la gestion de ces accidents. Un risque industriel majeur est un événement accidentel se produisant sur un site industriel et entraînant des conséquences immédiates graves pour le personnel, les populations avoisinantes, les biens et/ou l’environnement. Le risque est un indicateur permettant d’estimer la probabilité d’apparition ou la gravité des effets d’un événement. La sûreté de fonctionnement permet d’estimer les probabilités en utilisant des études dites probabilistes, c’est-à-dire des études de risques. Au niveau de la réglementation, il n’existe pas de définition du risque acceptable, contrairement à des normes de métiers. En bref, le risque est un indicateur d’aide à la décision qui repose sur des normes et des textes réglementaires. En conclusion, les régimes de responsabilités actuels sont insuffisants pour pallier les problèmes mis en évidence par la publication de ce nouveau décret. Le débat peut être enrichi par l’étude de la responsabilité objective sans faute et avec faute de l’exploitant d’un établissement classé, à notre époque de technicité croissante, ainsi que la primauté de la fonction préventive du droit de responsabilité au-delà de sa fonction curative, il doit passer à la fonction préventive.
Si on veut classer l’Algérie en matière de prévention des risques industriels, où peut-on la classer comparée aux pays voisins comme la Tunisie et le Maroc ou aux pays européens ?
Actuellement et dans le monde, l’indice de résilience est réalisé chaque année par Oxford Métrica, c’est la seule qui nous donne une compil sur la mesure de plusieurs types de risques à l’échelle d’un pays sur 130 pays. Cette année, notre pays est classé à la 116e place en fonction de plusieurs angles d’analyse : PIB par habitant, risque politique et vulnérabilité aux pénuries de pétrole et chocs pétroliers, exposition aux risques naturels, qualité de la gestion du risque d’incendie, lutte contre la corruption, qualité des infrastructures et fiabilité des fournisseurs locaux… La Norvège, la Suisse, les Pays-Bas, l’Irlande, le Luxembourg et l’Allemagne sont les champions mondiaux de la résilience en cas d’interruption de leur chaîne d’approvisionnement. C’est ce qui ressort de l’indice de résilience 2015 que vient de publier FM Global, spécialiste de la prévention, de la gestion et de l’assurance des risques industriels. En nous comparant à nos voisins, nous précédons l’Egypte, qui se trouve à la 122e position. En revanche, le Maroc nous devance, il se trouve à la 102e place.
Un autre problème se pose également, celui de l’incinération des déchets hospitaliers, sachant que la gestion des déchets d’activités de soins à risque infectieux en milieu hospitalier (DASRI) constitue un problème qui reste difficilement maîtrisable, et ce, faute d’application rigoureuse des textes de loi promulgués.
Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?
Avant, donnons un bref aperçu de ce que veut dire les DASRI. Les déchets d’activités de soins à risque infectieux (DASRI) sont les déchets issus des activités de diagnostic, de suivi et de traitement préventif, curatif ou palliatif, dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire. De par leur nature et leur origine, ces déchets peuvent présenter un risque infectieux ou de blessure, ils doivent être éliminés par une filière spécifique. Leur élimination est réglementée par des dispositions issues du Code la santé publique et du Code de l’environnement, qui sont des procédures et des protocoles stricts. Les déchets d’activités de soins à risque infectieux (DASRI) sont des déchets qui présentent un risque infectieux du fait qu’ils contiennent des micro-organismes viables ou leurs toxines, dont on sait (ou dont on a de bonnes raisons de croire) qu’en raison de leur nature, de leur quantité ou de leur métabolisme, ils causent des maladies chez l’homme ou chez d’autres organismes vivants. Même en l’absence de risque infectieux, sont considérés comme des DASRI : les matériels et matériaux piquants ou coupants dès leur utilisation ; les produits sanguins à usage thérapeutique incomplètement utilisés ou arrivés à péremption ; les déchets anatomiques humains ; le petit matériel de soins fortement évocateur d’une activité de soins et pouvant avoir un fort impact psycho-émotionnel (tubulures, sondes, drains, canules…). Une filière d’élimination spécifique pour les déchets d’activités de soins à risque infectieux (DASRI). Les DASRI peuvent présenter un risque infectieux en cas de blessure avec des objets piquants, tranchants ou coupants, par contact direct ou par inhalation d’aérosols. Une gestion rigoureuse de ces déchets est indispensable pour éviter les risques pour les patients, le personnel de soins, mais aussi les agents chargés de l’élimination des déchets et le public. Dès leur production, les DASRI doivent être séparés des autres déchets, conditionnés dans des emballages à usage unique et éliminés suivant une filière d’élimination spécifique, qu’ils soient produits dans un établissement de santé, un établissement médico-social, dans le domaine libéral ou par les patients en auto traitement. Tout producteur de DASRI est responsable de l’élimination des déchets qu’il produit. Tout au long de la filière d’élimination, les DASRI sont soumis à des règles de traçabilité qui permettent d’attester de leur bonne élimination. Les DASRI doivent suivre un circuit d’élimination sécurisé et isolé du traitement des ordures ménagères, afin d’éviter tout risque de contact des personnes avec du matériel usagé ou pathogène (sauf prétraitement particulier). Les DASRI sont généralement incinérés. Les DASRI doivent, en effet, être collectés immédiatement après usage dans des récipients adaptés (collecteurs de déchets) et normalisés (NF X 30-500) répondant à certaines normes de sécurité (résistance aux chocs, incinérables, de couleur jaune…). Les bouteilles d’eau minérale en plastique ou en verre sont inadaptées au transport et élimination de ce type de déchets. Les producteurs de ces déchets en sont responsables ; et si les soignants disposent déjà de circuits d’élimination spécialisés, il n’en est pas toujours de même pour les patients en auto soins. Les officines n’étant pas forcément équipées pour récupérer les DASRI en toute légalité, les patients doivent donc s’informer auprès des collectivités locales, des communautés urbaines ou des organismes intercommunaux qui ont la charge des ordures ménagères et peuvent assurer l’élimination des déchets ménagers spéciaux (DMS) produits par les ménages. Le traitement des déchets hospitaliers reste toujours problématique. Les résultats d’une étude de l’OMS conduite dans 22 pays en voie de développement ont indiqué que la proportion des établissements de santé qui n’éliminent pas correctement leurs déchets de soins est de 18 à 64%. L’incinération ayant montré ses limites, la banalisation s’impose peu à peu comme la meilleure alternative. Le prétraitement par banalisation des DASRI constitue une avancée considérable dans le domaine. Il autorise une réduction jusqu’à 80% du volume. La problématique du traitement des déchets hospitaliers n’en sera plus une dans quelque temps au niveau de plusieurs de nos centres hospitalo-universitaires. La technique dite de banalisation sera adoptée dès la réception prochaine des équipements. L’Algérie, qui souffre de cette situation à travers ses structures hospitalo-universitaires notamment, semble plus réceptive aux nouvelles technologies qui prennent à bras-le-corps le problème des déchets hospitaliers et le solutionne par l’adoption de nouvelles techniques. Oran, Tizi-Ouzou et Sétif en sont les précurseurs. Constantine leur emboîte le pas pour être à la tête du peloton des CHU qui ont recours à ce procédé adéquat pour surmonter le problème. Cet équipement utilise des sources thermiques et hydrauliques (vapeur) pour traiter des déchets hospitaliers qui, à la fin du processus, sont réduits en sciures pour préserver l’environnement et le milieu hospitalier. Plus explicitement, cette technique permet de transformer les déchets potentiellement contaminés en déchets de type ordures ménagères (OM). Le prétraitement par banalisation des DASRI constitue une alternative à l’incinération. Il autorise un traitement des déchets au plus près du lieu de production (hôpitaux, cliniques…), une réduction jusqu’à 80% du volume et une diminution de la masse selon la proportion de liquide, d’où une réduction des transports de déchets dangereux. C’est aussi une solution économique en comparaison avec les solutions d’incinération ou autres méthodes actuelles. Car la méthode d’incinération est hautement décriée par les experts, qui assimilent les incinérateurs à des brûleurs pollueurs qui posent d’autres soucis environnementaux. Des dépenses qui seront réduites une fois les deux banaliseurs seront réceptionnées et mis en service. Car ce nouveau traitement permettra la récupération des déchets sous forme de copeaux stériles, assimilables à des ordures ménagères qui seront compactées et acheminées vers l’incinération. L’impact du traitement par banalisation est positif à plus d’un titre. Selon les statistiques, l’Algérie produit annuellement 32 000 tonnes de déchets sanitaires. Selon une enquête menée récemment, il ressort que 60% des déchets hospitaliers non brûlés se retrouvent dans les décharges et dans les nappes phréatiques, pour s’introduire par la suite dans notre alimentation.
Une étude réalisée récemment par des experts sud-coréens dans le domaine de l’environnement à Blida et à Bordj Bou-Arréridj a révélé que le taux de recyclage des déchets ménagers y était particulièrement faible, oscillant entre 2% et 5% seulement.
Pourquoi cette situation à votre avis
Nous sommes encore au stade de la réalisation des centres d’enfouissement technique (CET). De l’autre côté de la Méditerranée, le traitement et le recyclage des déchets ménagers se fait de façon industrielle avec un traitement sélectif (papier, verres, aluminium, plastiques et ordures ménagères) depuis le simple citoyen jusqu’à la fin du cycle. Notre pays n’est doté d’aucune industrie industrielle afin d’éviter les émanations et la lixiviation, qui est un liquide résiduel provenant du passage de l’eau à travers des matériaux (percolation). D’autre part, au moins un commencement par l’installation de bacs en couleur dédiés à chaque type de déchets au niveau des aéroports, des gares de chemin de fer, des grandes surfaces, des gares routières, des universités, des hôpitaux. Cette étude a mis le doigt de façon très claire sur les limites et insuffisances des traitements des déchets en général dans notre pays à travers l’échantillon de deux wilayas. Une prise en charge sérieuse des recommandations de cette étude par le ministère des Ressources en eau et de l’Environnement permettra de traiter ces déchets ménagers de façon industrielle, d’apporter les solutions afin de protéger l’environnement et d’exploiter certains déchets dans l’industrie dédiée au traitement sélectif et même au recyclage. Elle pourra même toucher la dépollution industrielle, la gestion du littoral, la lutte contre le changement climatique et la désertification, la préservation de la biodiversité et l’amélioration de la qualité de l’air.de recyclage et encore moins d’une industrie de traitement des déchets. Pour cela, il faudrait, d’une part, que les secteurs étatiques et privés s’impliquent dans la création des centres de tri, de recyclage, de transformation et d’incinération des déchets de façon